Au XIXème siècle, en plein boom de l'expansion coloniale européenne, le célèbre philosophe allemand Friederich Hegel consacre une partie sur "les nègres" dans son ouvrage, La raison dans l'Histoire (1830). Et voici ce qu'il en dit :" Leur condition n'est susceptible d'aucun développement, d'aucune éducation, tels nous les voyons aujourd'hui, tels ils ont toujours été (...) l'Afrique n'a donc pas à proprement parlé d'histoire (...) car elle ne fait pas partie du monde historique, elle ne montre ni mouvement ni développement et ce qui s'est passé c'est à dire au Nord relève du monde asiatique et européen (...) ce que nous comprenons en somme sous le nom Afrique, c'est un monde anhistorique, non développé, entièrement prisonnier de l'esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l'Histoire universelle".
Deux siècles plus tard (plus exactement, 179 ans plus tard), le continent africain s'est libéré du joug de la domination coloniale. Les nouveaux États, issus d'un processus plus ou moins pacifique de décolonisation, obtiennent leur pleine souveraineté et font partie de ce qu'on appelle "la communauté internationale".
Même si les préjugés et le paternalisme à l'égard de l'Afrique sont tenaces, les mentalités évoluent. Grâce au travail de l'intelligentsia, des artistes de tout bord et de la société civile, le monde prend conscience de la richesse et de la complexité du continent qui tend à se réapproprier son histoire après des siècles d'humiliation.
Ce changement concerne aussi les anciens colonisateurs. La présence d'une population négro-africaine de plus en plus importante met les pays occidentaux face à leurs contradictions : fini les beaux discours hypocrites. Le racisme est démonté par les scientifiques, on parle d'ouverture au monde (mondialisation oblige), du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes tandis que des personnalités noires entreprenantes et dynamiques émergent. Point final de cette évolution, l'élection d'un métis (fruit d'un kenyan et d'une américaine) à la tête de l'Etat le plus puissant du monde.
Pourtant, celui qui se vernit d'un intérêt particulier pour la diversité, prônant la discrimination positive et une rupture avec la vieille politique de papa De Gaulle, a démontré que finalement les bons réflexes de paternalisme, de supériorité et de dédain sont toujours de mise.
Ce mépris pour l'Afrique qui s'affiche constamment (la situation actuelle de la Côte d'Ivoire en est un parfait exemple), a été jeté à la figure des sénégalais et de tous les africains, le 26 juillet 2007, lors d'un discours prononcé par le président de la République, fraîchement élu Nicolas Sarkozy à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar. Celui-ci a dû se retourner plusieurs fois dans sa tombe ! L'affront semble d'autant plus cynique plus qu'il s'est déroulé dans l'université qui porte le nom d'un grand savant africain ayant démontré les origines négro-africaines de la civilisation de l'Egypte antique ou encore que l'origine de l'homo sapiens est africaine.
Ce discours affligeant est un véritable déni de l'Histoire africaine. Malgré l'avancé des recherches et la multiplications de travaux, Sarkozy a prouvé que l'Histoire du continent reste largement méconnue et ignorée de tous. Et par sa suffisance, on comprend que cette ignorance est bénéfique pour des gens comme lui ! Car nier une histoire à l'homme, c'est nier sa condition humaine !
Dans cette allocution, Sarkozy ne s'éloigne absolument pas des propos de Hegel. Au contraire, il en reprend les traits les plus grossiers. Comme si en 200 ans, rien ne s'était passé ! Je ne reviendrai pas sur ce discours pitoyable, faits de poncifs d'une vision néo-conservatrice occidentale sur les peuples d'Afrique ! Des gens, bien plus imminents que moi, l'ont déconstruit point par point dans divers ouvrages que je vous recommande vivement :
- Jean-Pierre Chrétien (dir.), L'Afrique de Sarkozy. Un déni d'histoire, Karthala, Paris, 2008, 204 p. (ISBN 978-2-81110-004-9)
- Adame Ba Konaré, Petit précis de remise à niveau sur l'histoire africaine à l'usage du président Sarkozy, Editions La Découverte, Broché, 347 p. (ISBN 978-2707156372)
Pour vous faire une idée de la régression idéologique en oeuvre, voici un aperçu de cette fameuse allocution :
"Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.
Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.
Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance.
Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais, il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin.
Le problème de l’Afrique et permettez à un ami de l’Afrique de le dire, il est là.
Le défi de l’Afrique, c’est d’entrer davantage dans l’histoire. C’est de puiser en elle l’énergie, la force, l’envie, la volonté d’écouter et d’épouser sa propre histoire.
Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé.
Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance.
Le problème de l’Afrique, c’est que trop souvent elle juge le présent par rapport à une pureté des origines totalement imaginaire et que personne ne peut espérer ressusciter.
Ne pas reconnaître une histoire de l'Afrique, c'est contester le statut d'homme aux peuples africains ! car seul l'homme a conscience du sens de ses actes, d'agir sur son environnement présent, et donc futur.
Ne pas reconnaître une histoire de l'Afrique, c'est réfuter que les actions des africains s'inscrivent dans une logique à dimension stratégique.
La méconnaissance d'une histoire africaine, c'est se méprendre sur la signification d'une culture, d'un mode de pensée, d'un état d'esprit, de valeurs et de normes !
Dire que l'Afrique n'a pas d'histoire, c'est mentir délibérément, falsifier les faits pour ne pas souligner le lourd tribu du continent à l'essor de l'humanité !
Pourquoi ce post ? Au delà de la polémique qui a été rabattu de long en large il y a 4 ans de cela, c'est le professeur d'histoire-géographie qui s'indigne que l'ignorance perdure.
Chaque jour, j'essaye de faire comprendre à mes élèves, l'importance de cette matière (qui leur semble obsolète et inutile) pour comprendre le monde dans lequel on vit ! Alors, quand je vois que certains lancent des polémiques sous prétexte que les cours d'Histoire seront désormais ouverts sur d'autres civilisations, je me dis que finalement même les plus érudits n'ont rien compris de ce que doit être la base des connaissances ! Bien que qu'il y a eu un gros effort (désormais un cours de 3h est dispensé en 5e sur l'histoire de l'Afrique ancienne VIII-XVIe s.), les choses ne vont pas assez vite à mon goût surtout qu'il y a une vraie demande !
C'est la raison pour laquelle je plaide en faveur d'une diffusion bien plus étendue de l'Histoire africaine.
Pour moi, sa vulgarisation est absolument nécessaire car elle contribuera à lever le voile sur un large pan de l'humanité et surtout replacera l'homme noir à sa juste valeur et/ou place !
Car, je pense qu'il y a une vraie frustration chez les populations noires. Partout, où elles se trouvent dans le monde, il est primordial de parler de leurs ancêtres pour réhabiliter et légitimer leurs places dans la société (je pense notamment aux afro-descendants d'Amérique, d'Europe, d'Inde ou encore du Moyen-Orient).
De même que les peuples africains ont besoin de (re)découvrir leur histoire, antérieure à la colonisation, pour se débarrasser de ses complexes, assumer sa déchéance, rappeler l'essence même de ses cultures et retrouver sa dignité !
Enseigner l'histoire de l'Afrique, c'est rappeler aux jeunes générations, que des femmes et des hommes noirs ont accompli de grandes choses, que beaucoup se sont sacrifiés pour la liberté de tous ! Raconter l'histoire de femmes, d'hommes et de peuples noirs puissants, forts, pragmatiques, inscrits dans leur temps : c'est contribuer à forger un modèle, une fierté, une ambition, un exemple pour les jeunes en pleine construction ou quête d'identité.
Car nous savons tous que se forger une identité si l'on ne vient de nulle part est difficile, comment se construire, persévérer, agir si on n'a pas d'exemples ?
On a tous besoins d'héros, de modèles à qui nous raccrocher afin de poursuivre nos rêves, transcender la réalité, viser au-delà du possible. Des héros qui nous ressemblent pour s'aimer tout simplement. Ne plus avoir peur ou honte, ne plus se faire berner par ceux qui prétendent que nous n'avons pas notre place.
Enseigner l'Histoire de l'Afrique, c'est réhabiliter la présence légitime des afro-descendants dans ce pays ! Même si la rencontre et les rapports entre la France et l'Afrique se sont faits dans une violence inouïe, les liens sont présents, leurs histoires s'entrechoquent, s'entre-mêlent pour former, certes, une histoire douloureuse, mais une histoire commune qui doit être acceptée pour être dépassée.
La mémoire joue un rôle primordial dans la construction d'une identité collective.
Si certains tendent à penser que c'est une forme de communautarisme alors ces personnes ne veulent pas voir la réalité en face et les changements en cours !
Ce post et le projet que je tente de mettre en place, sont nés d'une frustration et de questions sans réponses. Alors, j'ai décidé de prendre le taureau par les cornes et de travailler sur cette vulgarisation.
Et pour moi cela doit passer par les plus jeunes.
Je souhaite donc , mettre en place des ateliers d'Histoire de l'Afrique et de la diaspora négro-africaine.
Ce serait des ateliers, proposant diverses activités tout au long de l'année et plus particulièrement, lors des journées de commémoration. Organisées en classes culturelles, ce sera avant tout, un espace ouvert, à l'esprit ludique, festif et de partage. La valorisation de la culture, pur fruit de l'Histoire, sera d'une grande importance, appuyée par des ateliers pluridisciplinaires où se côtoient littérature, théâtre, cuisine, musique africaines toujours en lien avec l'Histoire.
Mais surtout cet enseignement ne doit pas se cantonner à un groupe en particulier, il doit s'adresser à tout le monde, Car tout ce qui concerne l'homme noir concerne l'homme en général. Et peut-être du moins je crois que seuls la culture et la connaissance, réussiront à endiguer les amalgames, l'ignorance et la méconnaissance, facteurs du racisme.