9 mars 2013

Le féminisme expliqué aux panafricains

Il y a tout juste un an, dans le cadre de la Black History Month, j'ai été conviée à une journée d'étude sur le thème "Femmes noires et féminisme" accompagnée d'un hommage spécial à la grande militante afro-américaine Angela Davis. Après la projection d'un documentaire, une table ronde composée de 4 intervenants se mit à débattre. Je garde peu de souvenirs de cette discussion, sauf d'en être sortie avec un goût amer...
Les intervenants n'étaient pas préparés au sujet, les propos sonnaient creux et très vite, ils digressèrent sur tout sauf sur ce qui nous réunissait, le féminisme afro ! Ma déception était d'autant plus forte que le sujet ne cessait de m'interpeller, notamment dans ma vie quotidienne. Et plus j'en apprenais sur Angela Davis, plus je me sentais portée dans cette voie: articuler mon combat anti-capitaliste/anti-impérialiste et panafricain à ma condition de femme noire. Plus je lisais ses ouvrages et plus je ressentais l'urgence de renouveler un féminisme noir conceptualisé et popularisé par les afro-américaines mais qui attendait d'être revivifié... Pourquoi pas dans un nouveau cadre afropéen.

Le débat conforta ma certitude qu'il y avait un créneau à prendre et à fructifier. Surtout qu'un fait bien précis me marqua lors de cette rencontre: l'intervention d'un fervent militant panafricain. Le seul mot qui sortait de sa bouche était "panafricain", même lorsque les questions ne relevaient pas de la problématique "afro" mais uniquement des femmes. Je n'étais pas perturbée par son discours mais ce qui m'a outré et fait énormément réfléchir c'est que cet homme était totalement ignorant de sa propre histoire... Pis, il avait eu le culot de nier toute participation des femmes dans les grandes luttes panafricaines ! Ce qui était compréhensible puisqu'il était incapable de citer le moindre nom féminin lorsqu'un membre de l'auditoire lui rappela qu'elles étaient bel et bien présentes.
Je fulminais sur ma chaise et me disais que bien des choses n'allaient pas chez nos propres "frères".
Ce n'était pas la première fois que je ressentais autant de malaise et de honte pour ces hommes aux intentions louables. Mais combien de fois aivais-je éprouvé ce sentiment de frustration lors de rassemblements et échanges avec les militants panafricains...
 Angela.


Cela fait maintenant six ans que je m'implique plus ou moins dans la sphère panafricaine. Avec des hauts et des bas, de belles rencontres, des expériences enrichissantes même dans la méchanceté et la mesquinerie.
Ce qui me frappe à l'heure actuelle, c'est la multiplication et la diversité des mouvements panafricains français ceci grâce à l'Internet et à ses réseaux sociaux. Pourtant, chaque fois que je me renseigne et m'intéresse à une mouvance quelque chose cloche. Chaque fois, je remarque qu'il manque un gros morceau dans le puzzle: les femmes, oui les femmes, où sont-elles ?!!!
Eh bien, symptomatique d'une société française hyper sexiste, les femmes sont les grandes laissées pour compte des initiatives panafricaines. Car s'il y a bien une chose qu'ont en commun ces associations, c'est leur incapacité et un certain manque de volonté d'intégrer les femmes dans le milieu, largement dominé par les hommes. Et contrairement à ce que pensent les "frères", les femmes sont actives et veulent mener le combat mais sont rendues totalement invisibles.

Quand j'ai interrogé quelques uns d'entre eux sur ce problème, on m'a sorti que les femmes étaient naturellement peu attirées par les luttes collectives -_-""  - ... Alors comment expliquent-ils l'émergence d'associations 100% féminines comme Reines et héroïnes d'Afrique ou Femmes du Kivu ? Comment se fait-il qu'il y ait autant de blogs panafricains tenus par des femmes comme Sista Diaspora, Miss Kémite et Mama Sarate pour les plus connus ?
A bien observer leurs attitudes, à écouter leur analyse de la situation, à décrypter le regard qu'ils portent sur les femmes, il semble inconcevable pour un grand nombre de panafricains de suivre les bonnes paroles ou les actions d'une femme... Pour la plupart d'entre eux, il est connu que les femmes n'ont pas de talent d'orateur ni le charisme d'un leader. C'est vrai quoi, aucune femme ne pourrait avoir la verve belliqueuse d'un Kemi Seba ou le verbe tranché d'un Professeur Gomez. Une femme est bien trop douce et trop réfractaire à la confrontation orale et physique. Quant à celles qui osent de toute façon on sait qu'elles ne sont pas de "vraies" femmes...

Malheureusement, il faut avouer que ceux là même qui fustigent leurs semblables d'être perdus, le sont tout autant dans leurs rapports avec les femmes ! L'aliénation culturelle tant dénoncée les atteint au plus haut point dès qu'il s'agit de la condition féminine.
Tel l'arroseur arrosé, on assiste à un spectacle navrant où des panafricains perpétuent des rapports de domination issus de la culture machiste occidentale, amplifiée voire exacerbée chez les mâles noirs.
Ils sont l'objet d'une crise aiguë de sexisme/machisme, qui placée dans une perspective panafricaine est une aberration, un non-sens à laquelle il est temps d'y remédier !
Il est plus que temps que nos chers hommes panafricains, si prompts à jouer les donneurs de leçons remettent en question leurs propres actes et schémas de pensée concernant les femmes.

Une des démarches importantes du panafricanisme est celle du "retour aux sources", l'idée de retrouver, comprendre les composants essentiels des cultures et civilisations africaines en exhumant l'histoire, les langues, la sociologie des Africains avant les périodes funestes de l'esclavage et de la colonisation. Tout ceci en privilégiant un regard purement africain c'est-à-dire par des chercheurs, scientifiques, intellectuels africains après de (trop) longues années d'analyses occidentales. Car un des enjeux du panafricanisme est celui de mettre un terme aux mensonges et contre-vérités assénés par les puissances occidentales depuis leur premier contact avec l'Afrique. Emplis de préjugés racistes, de nombreuses études n'ont cessé de fausser et caricaturer les réalités sociologiques africaines pour mieux les asservir et pérenniser leur impérialisme économique politique et culturel.
Il suffit de voir la façon dont ils évoquent les femmes noires ou africaines... On ne compte plus les sujets sur les femmes excisées, mariées de forces, exploitées sexuellement, lapidées et j'en passe...

Pour revenir aux militants panafricains, il est important de leur expliquer que l'infériorisation des femmes africaines est une construction sociale et culturelle. Celle-ci est en partie un héritage du colonialisme qui a su amplifier des rapports hommes/femmes de base inégaux. 
Selon les époques et les lieux, la place des femmes dans la société africaine varie. Sans prétendre qu'il ait existé des civilisations africaines où l'égalité entre les sexes étaient parfaites, il faut rappeler que les femmes jouaient un rôle non négligeable et avaient des possibilités d'autonomie bien plus enviables que leurs congénères occidentales.

La place des femmes dans les sociétés africaines

Je ne saurais dire à quel moment l'amnésie s'est faite, il y a un champ de réflexion à explorer mais on ne peut occulter l'impact de la domination coloniale sur le changement des moeurs et cette relégation totale des femmes dans la sphère privée. N'ayant pas étudié le sujet avec précision, je ne peux que parler de ce que je connais.

Ma famille est originaire de la région du Bakongo où la société y est régie par les règles du matriarcat : il ne s'agit pas d'une domination de la femme sur l'homme mais d'une structure sociale qui s'édifie sur la descendance féminine. Le matrilignage est le fondement du clan = un ensemble de groupes sociaux composé de plusieurs générations d'un ancêtre éponyme. Concernant ma famille, l'ancêtre en question est la fameuse reine quasi déifiée Nzinga. Dans la culture bakongo, la femme est mystifiée et mise au coeur de l'éducation des fils, développant une conception égalitaire sur le rôle des parents dans la maturation du garçon. Dans de nombreuses sociétés africaines, les femmes occupent une place importante car elles sont gages d'un caractère fort et de la voie du succès pour le futur homme.

A certaines périodes, les femmes kongolaises ont pu hérités des biens, accéder à la gestion pleine et entière de leurs terres. Même si dans l'histoire du royaume Kongo, le pouvoir fut exercé exclusivement par des hommes, les femmes n'étaient pas effacées pour autant. Très souvent, elles étaient protagonistes dans les luttes dynastiques, dans les combats contre l'hégémonie portugaise et les stratégies d'évangélisation. En 1704, après plusieurs années de conflits suite à la vacance du trône, d'attaques répétées par les négriers portugais, les pillages et le dépeuplement constants, les kongolaises guidées par la célèbre Kimpa Vita - Dona Béatrice se soulèvent pour tenter d'unifier et renforcer l'autonomie du royaume Kongo.
Kimpa Vita ou Dona Béatrice, la prophétesse des Kongo


Encore aujourd'hui, des us et coutumes accordent aux africaines une certaine indépendance dans les villes comme dans les campagnes. Les femmes tiennent de nombreux commerces, régentent des ateliers de coutures. Elles sont au coeur des activités agricoles et souvent à l'origine d'initiatives associatives, indispensables pour pallier aux défaillances de l'Etat. Elles résolvent ainsi les questions sociales, et ceci malgré qu'elles soient peu diplômées ! Les africaines ont développé les tontines qui permettent de générer de petits revenus et d'alimenter l'économie informelle, primordiale à la survie des populations. Il y a aussi les fameuses "mamies benZ"  au Kongo, Bénin et Togo, des négociantes de pagnes très dynamiques, véritables chefs d'entreprises aux chiffres d'affaires mirobolants.

Cependant, ces modèles d'autogestion ont été ébranlées et minimisées avec l'arrivée des Européens. 
En effet, c'est ce qui s'est passé au Kongo, au début du XVIe siècle. Lorsque les portugais arrivèrent dans le royaume, accompagnés de missionnaires, ils furent choqués de voir les femmes si "libres". Ils se donnèrent pour mission de remettre ces africains arriérés sur le droit chemin en redistribuant les rôles hommes-femmes, calqués sur le modèle européen. Grâce à la conversion au christianisme des Mani  Kongo (rois) et progressivement des autochtones, les femmes furent reléguées à la sphère privée et ne pouvaient plus réussir socialement.
Cette dévalorisation sociale, suivie de la perte des traditions, conduit à une importante régression pour les femmes et se traduit par leur bannissement de l'espace public. 

Alors pour ceux qui ont une réelle volonté de voir l'Afrique renaître, en mobilisant ses ressources culturelles, en proposant un modèle de réussite alternatif qui s'inspire de concepts et idées africaines, il est temps de militer pour une réhabilitation des femmes dans les projets collectifs.
La reconstruction et l'émergence d'une nouvelle Afrique est une grande ambition presque utopique... Elles nécessitent donc l'union et la solidarité de toutes les forces humaines. 
L'Afrique et sa diaspora ont besoin de la participation de tous pour retrouver sa dignité perdue. 
Personne ne peut renier les femmes car elles ont toujours été. Au devant, quelques fois, mais le plus souvent à l'ombre des hommes à qui elles ont apporté leurs idées, leurs efforts dans le travail et leur courage dans les luttes. Des femmes discrètes mais efficaces.


La présence des femmes dans les grandes luttes "afros" 

Les femmes noires ont toujours participé aux luttes de libération que ce soit en Afrique ou dans les territoires esclavagistes. Je ne citerai que quelques exemples limités à l'Afrique. Aujourd'hui grâce à l'accès aux livres et à l'Internet, il n'est pas difficile d'approfondir ses connaissances sur ces héroïnes oubliées.

Dès les premières heures de la colonisation, les femmes ont joué un rôle politique et militaire d'envergure dans la résistance. Dans l'ancien royaume du Dahomey (Bénin actuel), le roi Béhanzin put compter sur l'énergie impitoyable des Amazones, guerrières formées à l'art militaire dès l'adolescence. De 1890 à 1892, elles ont tenu tête aux soldats français sur-armés qui vacillèrent devant tant de pugnacité. Après de lourdes pertes, les dernières Amazones furent exilées en Martinique avec le roi Béhanzin.

Les Amazones, troupe d'élite du roi    Béhanzin

A Madagsacar, la Reine Ranavalona III refuse le protectorat français proposé par le Général Galliéni en 1895 et tente de déjouer toute main basse sur son île mais en 1897, elle est arrêtée puis exilée en Algérie.

 La dernière reine de Madagscar, Ranavalona III

En Gold Coast (actuel Ghana), Yaa Asantewa est la figure historique de la rébellion des Ashanti (Asante) contre les Britanniques. Contre l'avis de la Confédération Ashanti (Asante) de négocier avec l'agresseur, la reine-mère s'adresse à l'assemblée masculine en ces termes devenus célèbres :
"Je constate que certains parmis vous craignent d'aller au front et de combattre pour notre Roi. Si nous étions aux temps de Osei Tuty, d'Okomfo Anokye  et d'Opoku Ware, les chefs ne seraient jamais restés assis à regarder leur Roi être emporté ainsi sans même tirer un seul coup de feu. Il est donc vrai que la bravoure n'existe plus à Asante? Je peux à peine le croire. Les choses ne peuvent pas se passer ainsi! Je me vois obligée de vous dire que si vous, hommes d'Asante ne vous levez pas, nous, nous le ferons. Oui, nous, les femmes, nous irons. J'appellerai les femmes, et ensemble nous combattrons les hommes blancs. Nous nous battrons jusqu'à ce que la dernière d'entre nous tombe sur le champ de bataille".
Elle mène la guerre de 1900 à 1902 avec une armée composée d'hommes et de femmes avant d'être capturée puis exilée aux îles Seychelles.

Yaa Asantawa, reine mère d'Ejisu, chef de l'empire Ashanti
figure de la résistance

Dès les premiers soubresauts, les femmes agissent au sein des mouvements d'émancipation des peuples colonisés. Le 24 décembre 1949, 2000 à 4000 ivoiriennes marchent sur la prison du Grand Bassam près d'Abidjan pour exiger la libération des leaders du groupe indépendantiste RDA. Au Kongo, Marie Muilu poursuit l'oeuvre contestataire de son mari, le prophète Simon Kimbangu, mort après sa déportation. Dans la clandestinité, elle érige l'Eglise kimbanguiste dans le Bas Kongo qui sera un des noyaux forts du mouvement anti-colonial.

Marie Miulu, fondatrice de l'Eglise kimbanguiste (Kongo)

En 1933, un collectif de femmes commerçantes togolaises protestent contre les charges fiscales de l'administration coloniale et les abus de pouvoir. Ainsi qu'au Ghana, les "mamas commerçantes", au fort pouvoir économique, boycottent les produits anglais suite à l'appel de Nkrumah en 1951. 
Dans la période de l'entre-deux-guerres, de nombreuses africaines se révoltent contre leur statut d'infériorité et au Kongo, certaines dénoncent la stigmatisation des femmes non mariées, ce sont les premières nationalistes du Kongo belge. 
Lors des luttes anti-coloniales, les africaines sont encore en première ligne. En 1952, les paysannes Kikuyu du Kenya assurent les opérations de logistique, d'espionnage, de repérage et de ravitaillement. Dix mille d'entre elles seront jetées en prison. Durant la guerre d'indépendance du Kamerun (1955-1960), les femmes prennent part à la guérilla et constituent même 50% des effectifs. De même qu'au Mozambique et en Angola, des corps armées féminins soutiennent les batailles. 

Tous ces exemples prouvent que les panafricains ont une vision parcellaire de l'histoire et prolongent sa falsification en se désintéressant du rôle des femmes africaines. 


Le combat panafricain, une solution pour une virilité contrariée

Le panafricanisme a une aura considérable chez les jeunes noir(e)s désoeuvrés et/ou en perte d'identité. 
Ses objectifs - se ré-approprier les connaissances, les critiquer pour se forger un savoir "authentique" et redécouvrir ses véritables origines plaisent aux jeunes les plus motivés.
Ce mouvement permet aux noirs -qui le veulent- de se re-cadrer, faire preuve d'assiduité et de discipline, de retrouver l'estime de soi tout en se construisant une nouvelle identité, radicale. Guidés par un leader charismatique, les jeunes sortis du système et/ou conscients de leur  handicap originel - dans une France ouvertement raciste - trouve une  nouvelle source d'épanouissement qui donne sens à leur existence. Malgré une capacité d'endoctrinement limitée, le panafricanisme est un palliatif nécessaire dans une société où l'individu s'évalue selon ce qu'il possède car le constat est alarmant.

Les noirs sont toujours sur-représentés dans les couches sociales défavorisées et sont très sévèrement touchés par la crise économique. Les discriminations à leur égard sont de plus en plus criantes et leur ascension sociale reste de l'ordre de l'exceptionnel. La frustration est d'autant plus intense que nombre de jeunes hommes aspirent à la réussite sociale et financière, caution de leur virilité.
En effet, comment être un "vrai" homme si on n'a pas de diplômes, d'emploi bien rémunéré, un logement satisfaisant pour y bâtir un foyer ? Le panafricanisme est donc pour certains l'alternative salvatrice face à la délinquance, la drogue, la prison et bien d'autres maux qui touchent particulièrement les hommes Afros. Le panafricanisme est le moyen d'être de vrais hommes, qui se battent pour des idéaux...
Sans vouloir caricaturer, il est facile de dresser le portrait du militant panafricain: un jeune homme noir aux allures de Malcom X, propre sur lui-même, à l'élocution parfaite saccadée par une pensée en ébullition mais souvent empruntée voire récitée. Le langage est soutenu, la posture droite, les gestes forts et affirmés. Le panafricain est beau par son assurance et incroyablement digne, aucune fille ne peut résister aux charmes d'un être si cultivé, si sûr de lui-même...
Malheureusement, le charme est vite rompu car le panafricain s'embourbe vite dans une vision manichéenne du monde et quand il s'agit des femmes, c'est toujours pour fustiger les petites "niafous" indécentes, appeler les soeurs à ne plus se défriser les cheveux, à s'habiller de manière décente ou  recommander aux soeurs d'agir en bonnes épouses, mères et amies...
Parce qu'ils défendent une cause juste et se targuent d'une moralité exemplaire, de nombreux panafricains adoptent une posture orgueilleuse envers les femmes qu'ils ne voient que comme des compagnes passives dans leurs combats de longue haleine. A les écouter, la femme doit rester le socle d'une vie familiale saine mais ne doit surtout pas chercher à leur voler la vedette...
Moi-même, j'ai ressenti ce rapport concurrentiel, dans les conversations opposant hommes et femmes. Il est arrivé que les hommes nous renvoyaient à la figure un stéréotype tenace: celui de la femme noire en colère et castratrice... Ben oui, une femme qui l'ouvre est une femme qui cherche à rabaisser son homme. De même que l'apparition de plus en plus visible d'une "blackgeoisie" féminine créee des tensions et entraîne certains à voir les femmes comme une menace à leur propre ascension personnelle.

A ce machisme immuable, c'est à nous les femmes de faire comprendre qu'oeuvrer pour l'égalité des sexes n'est pas l'arbre qui cache la forêt ! Porter un féminisme noir, c'est aussi dé-tricoter et ébranler le système d'oppression contre lequel lutte le panafricanisme. Mais surtout, c'est prendre conscience que les premières victimes des structures d'asservissement sont les femmes noires. 

Et si on se concentrait sur autre chose que la beauté et la mode afro ?

Dans une logique patriarcale et sexiste, la femme est évidement réduite à son corps. Alors la première chose à laquelle se sont attelés les panafricains,  était de reconsidérer la beauté des femmes noires, trop longtemps dénigrée par les blancs. A coup de colloques, blogs et images "Black is beautiful" les panafricain(e)s ont prescrit aux noires le retour du cheveu naturel, l'acceptation des formes généreuses et de la couleur très ébène. Progressivement, une image idéalisée de la femme noire d'origine africaine s'est construite au détriment de sa diversité. Certes, il était plus qu'urgent de redire au monde que les corps et les beautés noires valent autant que les modèles caucasiens. Mais la propagation de blogs destinés à l'entretien du cheveux crépu, l'accroissement de magazines féminins afros qui contribuent largement à ce rappel suffisent-ils ? Se limiter à l'image - normée- des femme noires est très réducteur. Est-ce donc cela l'égalité tant attendue ? Faire comme les femmes caucasiennes: acheter un magazine à 3e50 qui nous guide dans le choix des produits capillaires et/ou de la prochaine paire de chaussures ?
Porter le wax et le turban, décorer son intérieur en bambou et de statuettes en bois assurent-ils le progrès des femmes noires ?

Pourtant, il faudrait se pencher sur les problèmes qui touchent spécifiquement les femmes noires. Des problèmes que le féminisme blanc, faussement universel, est incapable de déceler. Combien de fois, a-t-on vu les féministes blanches ne pas saisir les attaques racistes et/ou les situations de discriminations à l'encontre des femmes noires - encore pire si elles sont musulmanes.
Quand allons nous évoquer, les nombreuses injustices et souffrances que subissent les femmes: la violence conjugale, le viol, la pauvreté, l'échec scolaire, le chômage en plus du racisme et de l'oppression sociale !
Les panafricains doivent dénoncer et agir contre les conditions matérielles et sociales désastreuses d'une grande majorité des femmes noires. Au lieu de mettre en avant des couples noirs harmonieux, comme pour se convaincre qu'être avec un noir et une noire, c'est cool, il serait peut-être temps de régler la misogynie exécrable de certains, analyser les causes et remédier à la spirale de la violence dans le couple, supporter les jeunes filles-mères, celles qui élèvent seules leur enfant, promouvoir la liberté des femmes de disposer de leur corps, de leur sexualité comme elles l'entendent (là je rêve totalement...).
J'entends déjà les critiques s'élèver: la question des femmes ne vaut rien par rapport à celle du panafricanisme. Et  a-t-on besoin de remuer le couteau dans la plaie, à parler des hommes noirs violents et injustes envers les femmes, n'est ce pas encore participer à une campagne de disqualification de l'homme noir...

Bien au contraire et d'où l'objet de ce long post... Ce qu'il y a de merveilleux et de profondément beau dans la lutte panafricaine est le retour sur soi, sans hypocrisie. La prise de conscience que nous devons affronter nous-mêmes nos problèmes et les régler sous un paradigme purement africain est indispensable. Le combat pour les droits et le respect des femmes noires sert la cause africaine et celle des noirs en général. C'est par l'union des forces que l'on arrivera à changer notre condition et pourquoi pas proposer un autre monde...


Sources
- L'Histoire n°371, Sociétés coloniales: du côté des femmes, janvier 2012
- Le royaume Kongo et la mission catholique (1750-1838) du déclin à l'extension , Kabolo Iko Kabwita, khartala éditions

Le féminisme expliqué aux panafricains

Il y a tout juste un an, dans le cadre de la Black History Month, j'ai été conviée à une journée d'étude sur le thème "Femmes noires et féminisme" accompagnée d'un hommage spécial à la grande militante afro-américaine Angela Davis. Après la projection d'un documentaire, une table ronde composée de 4 intervenants se mit à débattre. Je garde peu de souvenirs de cette discussion, sauf d'en être sortie avec un goût amer...
Les intervenants n'étaient pas préparés au sujet, les propos sonnaient creux et très vite, ils digressèrent sur tout sauf sur ce qui nous réunissait, le féminisme afro ! Ma déception était d'autant plus forte que le sujet ne cessait de m'interpeller, notamment dans ma vie quotidienne. Et plus j'en apprenais sur Angela Davis, plus je me sentais portée dans cette voie: articuler mon combat anti-capitaliste/anti-impérialiste et panafricain à ma condition de femme noire. Plus je lisais ses ouvrages et plus je ressentais l'urgence de renouveler un féminisme noir conceptualisé et popularisé par les afro-américaines mais qui attendait d'être revivifié... Pourquoi pas dans un nouveau cadre afropéen.

Le débat conforta ma certitude qu'il y avait un créneau à prendre et à fructifier. Surtout qu'un fait bien précis me marqua lors de cette rencontre: l'intervention d'un fervent militant panafricain. Le seul mot qui sortait de sa bouche était "panafricain", même lorsque les questions ne relevaient pas de la problématique "afro" mais uniquement des femmes. Je n'étais pas perturbée par son discours mais ce qui m'a outré et fait énormément réfléchir c'est que cet homme était totalement ignorant de sa propre histoire... Pis, il avait eu le culot de nier toute participation des femmes dans les grandes luttes panafricaines ! Ce qui était compréhensible puisqu'il était incapable de citer le moindre nom féminin lorsqu'un membre de l'auditoire lui rappela qu'elles étaient bel et bien présentes.
Je fulminais sur ma chaise et me disais que bien des choses n'allaient pas chez nos propres "frères".
Ce n'était pas la première fois que je ressentais autant de malaise et de honte pour ces hommes aux intentions louables. Mais combien de fois aivais-je éprouvé ce sentiment de frustration lors de rassemblements et échanges avec les militants panafricains...
 Angela.


Cela fait maintenant six ans que je m'implique plus ou moins dans la sphère panafricaine. Avec des hauts et des bas, de belles rencontres, des expériences enrichissantes même dans la méchanceté et la mesquinerie.
Ce qui me frappe à l'heure actuelle, c'est la multiplication et la diversité des mouvements panafricains français ceci grâce à l'Internet et à ses réseaux sociaux. Pourtant, chaque fois que je me renseigne et m'intéresse à une mouvance quelque chose cloche. Chaque fois, je remarque qu'il manque un gros morceau dans le puzzle: les femmes, oui les femmes, où sont-elles ?!!!
Eh bien, symptomatique d'une société française hyper sexiste, les femmes sont les grandes laissées pour compte des initiatives panafricaines. Car s'il y a bien une chose qu'ont en commun ces associations, c'est leur incapacité et un certain manque de volonté d'intégrer les femmes dans le milieu, largement dominé par les hommes. Et contrairement à ce que pensent les "frères", les femmes sont actives et veulent mener le combat mais sont rendues totalement invisibles.

Quand j'ai interrogé quelques uns d'entre eux sur ce problème, on m'a sorti que les femmes étaient naturellement peu attirées par les luttes collectives -_-""  - ... Alors comment expliquent-ils l'émergence d'associations 100% féminines comme Reines et héroïnes d'Afrique ou Femmes du Kivu ? Comment se fait-il qu'il y ait autant de blogs panafricains tenus par des femmes comme Sista Diaspora, Miss Kémite et Mama Sarate pour les plus connus ?
A bien observer leurs attitudes, à écouter leur analyse de la situation, à décrypter le regard qu'ils portent sur les femmes, il semble inconcevable pour un grand nombre de panafricains de suivre les bonnes paroles ou les actions d'une femme... Pour la plupart d'entre eux, il est connu que les femmes n'ont pas de talent d'orateur ni le charisme d'un leader. C'est vrai quoi, aucune femme ne pourrait avoir la verve belliqueuse d'un Kemi Seba ou le verbe tranché d'un Professeur Gomez. Une femme est bien trop douce et trop réfractaire à la confrontation orale et physique. Quant à celles qui osent de toute façon on sait qu'elles ne sont pas de "vraies" femmes...

Malheureusement, il faut avouer que ceux là même qui fustigent leurs semblables d'être perdus, le sont tout autant dans leurs rapports avec les femmes ! L'aliénation culturelle tant dénoncée les atteint au plus haut point dès qu'il s'agit de la condition féminine.
Tel l'arroseur arrosé, on assiste à un spectacle navrant où des panafricains perpétuent des rapports de domination issus de la culture machiste occidentale, amplifiée voire exacerbée chez les mâles noirs.
Ils sont l'objet d'une crise aiguë de sexisme/machisme, qui placée dans une perspective panafricaine est une aberration, un non-sens à laquelle il est temps d'y remédier !
Il est plus que temps que nos chers hommes panafricains, si prompts à jouer les donneurs de leçons remettent en question leurs propres actes et schémas de pensée concernant les femmes.

Une des démarches importantes du panafricanisme est celle du "retour aux sources", l'idée de retrouver, comprendre les composants essentiels des cultures et civilisations africaines en exhumant l'histoire, les langues, la sociologie des Africains avant les périodes funestes de l'esclavage et de la colonisation. Tout ceci en privilégiant un regard purement africain c'est-à-dire par des chercheurs, scientifiques, intellectuels africains après de (trop) longues années d'analyses occidentales. Car un des enjeux du panafricanisme est celui de mettre un terme aux mensonges et contre-vérités assénés par les puissances occidentales depuis leur premier contact avec l'Afrique. Emplis de préjugés racistes, de nombreuses études n'ont cessé de fausser et caricaturer les réalités sociologiques africaines pour mieux les asservir et pérenniser leur impérialisme économique politique et culturel.
Il suffit de voir la façon dont ils évoquent les femmes noires ou africaines... On ne compte plus les sujets sur les femmes excisées, mariées de forces, exploitées sexuellement, lapidées et j'en passe...

Pour revenir aux militants panafricains, il est important de leur expliquer que l'infériorisation des femmes africaines est une construction sociale et culturelle. Celle-ci est en partie un héritage du colonialisme qui a su amplifier des rapports hommes/femmes de base inégaux. 
Selon les époques et les lieux, la place des femmes dans la société africaine varie. Sans prétendre qu'il ait existé des civilisations africaines où l'égalité entre les sexes étaient parfaites, il faut rappeler que les femmes jouaient un rôle non négligeable et avaient des possibilités d'autonomie bien plus enviables que leurs congénères occidentales.

La place des femmes dans les sociétés africaines

Je ne saurais dire à quel moment l'amnésie s'est faite, il y a un champ de réflexion à explorer mais on ne peut occulter l'impact de la domination coloniale sur le changement des moeurs et cette relégation totale des femmes dans la sphère privée. N'ayant pas étudié le sujet avec précision, je ne peux que parler de ce que je connais.

Ma famille est originaire de la région du Bakongo où la société y est régie par les règles du matriarcat : il ne s'agit pas d'une domination de la femme sur l'homme mais d'une structure sociale qui s'édifie sur la descendance féminine. Le matrilignage est le fondement du clan = un ensemble de groupes sociaux composé de plusieurs générations d'un ancêtre éponyme. Concernant ma famille, l'ancêtre en question est la fameuse reine quasi déifiée Nzinga. Dans la culture bakongo, la femme est mystifiée et mise au coeur de l'éducation des fils, développant une conception égalitaire sur le rôle des parents dans la maturation du garçon. Dans de nombreuses sociétés africaines, les femmes occupent une place importante car elles sont gages d'un caractère fort et de la voie du succès pour le futur homme.

A certaines périodes, les femmes kongolaises ont pu hérités des biens, accéder à la gestion pleine et entière de leurs terres. Même si dans l'histoire du royaume Kongo, le pouvoir fut exercé exclusivement par des hommes, les femmes n'étaient pas effacées pour autant. Très souvent, elles étaient protagonistes dans les luttes dynastiques, dans les combats contre l'hégémonie portugaise et les stratégies d'évangélisation. En 1704, après plusieurs années de conflits suite à la vacance du trône, d'attaques répétées par les négriers portugais, les pillages et le dépeuplement constants, les kongolaises guidées par la célèbre Kimpa Vita - Dona Béatrice se soulèvent pour tenter d'unifier et renforcer l'autonomie du royaume Kongo.
Kimpa Vita ou Dona Béatrice, la prophétesse des Kongo


Encore aujourd'hui, des us et coutumes accordent aux africaines une certaine indépendance dans les villes comme dans les campagnes. Les femmes tiennent de nombreux commerces, régentent des ateliers de coutures. Elles sont au coeur des activités agricoles et souvent à l'origine d'initiatives associatives, indispensables pour pallier aux défaillances de l'Etat. Elles résolvent ainsi les questions sociales, et ceci malgré qu'elles soient peu diplômées ! Les africaines ont développé les tontines qui permettent de générer de petits revenus et d'alimenter l'économie informelle, primordiale à la survie des populations. Il y a aussi les fameuses "mamies benZ"  au Kongo, Bénin et Togo, des négociantes de pagnes très dynamiques, véritables chefs d'entreprises aux chiffres d'affaires mirobolants.

Cependant, ces modèles d'autogestion ont été ébranlées et minimisées avec l'arrivée des Européens. 
En effet, c'est ce qui s'est passé au Kongo, au début du XVIe siècle. Lorsque les portugais arrivèrent dans le royaume, accompagnés de missionnaires, ils furent choqués de voir les femmes si "libres". Ils se donnèrent pour mission de remettre ces africains arriérés sur le droit chemin en redistribuant les rôles hommes-femmes, calqués sur le modèle européen. Grâce à la conversion au christianisme des Mani  Kongo (rois) et progressivement des autochtones, les femmes furent reléguées à la sphère privée et ne pouvaient plus réussir socialement.
Cette dévalorisation sociale, suivie de la perte des traditions, conduit à une importante régression pour les femmes et se traduit par leur bannissement de l'espace public. 

Alors pour ceux qui ont une réelle volonté de voir l'Afrique renaître, en mobilisant ses ressources culturelles, en proposant un modèle de réussite alternatif qui s'inspire de concepts et idées africaines, il est temps de militer pour une réhabilitation des femmes dans les projets collectifs.
La reconstruction et l'émergence d'une nouvelle Afrique est une grande ambition presque utopique... Elles nécessitent donc l'union et la solidarité de toutes les forces humaines. 
L'Afrique et sa diaspora ont besoin de la participation de tous pour retrouver sa dignité perdue. 
Personne ne peut renier les femmes car elles ont toujours été. Au devant, quelques fois, mais le plus souvent à l'ombre des hommes à qui elles ont apporté leurs idées, leurs efforts dans le travail et leur courage dans les luttes. Des femmes discrètes mais efficaces.


La présence des femmes dans les grandes luttes "afros" 

Les femmes noires ont toujours participé aux luttes de libération que ce soit en Afrique ou dans les territoires esclavagistes. Je ne citerai que quelques exemples limités à l'Afrique. Aujourd'hui grâce à l'accès aux livres et à l'Internet, il n'est pas difficile d'approfondir ses connaissances sur ces héroïnes oubliées.

Dès les premières heures de la colonisation, les femmes ont joué un rôle politique et militaire d'envergure dans la résistance. Dans l'ancien royaume du Dahomey (Bénin actuel), le roi Béhanzin put compter sur l'énergie impitoyable des Amazones, guerrières formées à l'art militaire dès l'adolescence. De 1890 à 1892, elles ont tenu tête aux soldats français sur-armés qui vacillèrent devant tant de pugnacité. Après de lourdes pertes, les dernières Amazones furent exilées en Martinique avec le roi Béhanzin.

Les Amazones, troupe d'élite du roi    Béhanzin

A Madagsacar, la Reine Ranavalona III refuse le protectorat français proposé par le Général Galliéni en 1895 et tente de déjouer toute main basse sur son île mais en 1897, elle est arrêtée puis exilée en Algérie.

 La dernière reine de Madagscar, Ranavalona III

En Gold Coast (actuel Ghana), Yaa Asantewa est la figure historique de la rébellion des Ashanti (Asante) contre les Britanniques. Contre l'avis de la Confédération Ashanti (Asante) de négocier avec l'agresseur, la reine-mère s'adresse à l'assemblée masculine en ces termes devenus célèbres :
"Je constate que certains parmis vous craignent d'aller au front et de combattre pour notre Roi. Si nous étions aux temps de Osei Tuty, d'Okomfo Anokye  et d'Opoku Ware, les chefs ne seraient jamais restés assis à regarder leur Roi être emporté ainsi sans même tirer un seul coup de feu. Il est donc vrai que la bravoure n'existe plus à Asante? Je peux à peine le croire. Les choses ne peuvent pas se passer ainsi! Je me vois obligée de vous dire que si vous, hommes d'Asante ne vous levez pas, nous, nous le ferons. Oui, nous, les femmes, nous irons. J'appellerai les femmes, et ensemble nous combattrons les hommes blancs. Nous nous battrons jusqu'à ce que la dernière d'entre nous tombe sur le champ de bataille".
Elle mène la guerre de 1900 à 1902 avec une armée composée d'hommes et de femmes avant d'être capturée puis exilée aux îles Seychelles.

Yaa Asantawa, reine mère d'Ejisu, chef de l'empire Ashanti
figure de la résistance

Dès les premiers soubresauts, les femmes agissent au sein des mouvements d'émancipation des peuples colonisés. Le 24 décembre 1949, 2000 à 4000 ivoiriennes marchent sur la prison du Grand Bassam près d'Abidjan pour exiger la libération des leaders du groupe indépendantiste RDA. Au Kongo, Marie Muilu poursuit l'oeuvre contestataire de son mari, le prophète Simon Kimbangu, mort après sa déportation. Dans la clandestinité, elle érige l'Eglise kimbanguiste dans le Bas Kongo qui sera un des noyaux forts du mouvement anti-colonial.

Marie Miulu, fondatrice de l'Eglise kimbanguiste (Kongo)

En 1933, un collectif de femmes commerçantes togolaises protestent contre les charges fiscales de l'administration coloniale et les abus de pouvoir. Ainsi qu'au Ghana, les "mamas commerçantes", au fort pouvoir économique, boycottent les produits anglais suite à l'appel de Nkrumah en 1951. 
Dans la période de l'entre-deux-guerres, de nombreuses africaines se révoltent contre leur statut d'infériorité et au Kongo, certaines dénoncent la stigmatisation des femmes non mariées, ce sont les premières nationalistes du Kongo belge. 
Lors des luttes anti-coloniales, les africaines sont encore en première ligne. En 1952, les paysannes Kikuyu du Kenya assurent les opérations de logistique, d'espionnage, de repérage et de ravitaillement. Dix mille d'entre elles seront jetées en prison. Durant la guerre d'indépendance du Kamerun (1955-1960), les femmes prennent part à la guérilla et constituent même 50% des effectifs. De même qu'au Mozambique et en Angola, des corps armées féminins soutiennent les batailles. 

Tous ces exemples prouvent que les panafricains ont une vision parcellaire de l'histoire et prolongent sa falsification en se désintéressant du rôle des femmes africaines. 


Le combat panafricain, une solution pour une virilité contrariée

Le panafricanisme a une aura considérable chez les jeunes noir(e)s désoeuvrés et/ou en perte d'identité. 
Ses objectifs - se ré-approprier les connaissances, les critiquer pour se forger un savoir "authentique" et redécouvrir ses véritables origines plaisent aux jeunes les plus motivés.
Ce mouvement permet aux noirs -qui le veulent- de se re-cadrer, faire preuve d'assiduité et de discipline, de retrouver l'estime de soi tout en se construisant une nouvelle identité, radicale. Guidés par un leader charismatique, les jeunes sortis du système et/ou conscients de leur  handicap originel - dans une France ouvertement raciste - trouve une  nouvelle source d'épanouissement qui donne sens à leur existence. Malgré une capacité d'endoctrinement limitée, le panafricanisme est un palliatif nécessaire dans une société où l'individu s'évalue selon ce qu'il possède car le constat est alarmant.

Les noirs sont toujours sur-représentés dans les couches sociales défavorisées et sont très sévèrement touchés par la crise économique. Les discriminations à leur égard sont de plus en plus criantes et leur ascension sociale reste de l'ordre de l'exceptionnel. La frustration est d'autant plus intense que nombre de jeunes hommes aspirent à la réussite sociale et financière, caution de leur virilité.
En effet, comment être un "vrai" homme si on n'a pas de diplômes, d'emploi bien rémunéré, un logement satisfaisant pour y bâtir un foyer ? Le panafricanisme est donc pour certains l'alternative salvatrice face à la délinquance, la drogue, la prison et bien d'autres maux qui touchent particulièrement les hommes Afros. Le panafricanisme est le moyen d'être de vrais hommes, qui se battent pour des idéaux...
Sans vouloir caricaturer, il est facile de dresser le portrait du militant panafricain: un jeune homme noir aux allures de Malcom X, propre sur lui-même, à l'élocution parfaite saccadée par une pensée en ébullition mais souvent empruntée voire récitée. Le langage est soutenu, la posture droite, les gestes forts et affirmés. Le panafricain est beau par son assurance et incroyablement digne, aucune fille ne peut résister aux charmes d'un être si cultivé, si sûr de lui-même...
Malheureusement, le charme est vite rompu car le panafricain s'embourbe vite dans une vision manichéenne du monde et quand il s'agit des femmes, c'est toujours pour fustiger les petites "niafous" indécentes, appeler les soeurs à ne plus se défriser les cheveux, à s'habiller de manière décente ou  recommander aux soeurs d'agir en bonnes épouses, mères et amies...
Parce qu'ils défendent une cause juste et se targuent d'une moralité exemplaire, de nombreux panafricains adoptent une posture orgueilleuse envers les femmes qu'ils ne voient que comme des compagnes passives dans leurs combats de longue haleine. A les écouter, la femme doit rester le socle d'une vie familiale saine mais ne doit surtout pas chercher à leur voler la vedette...
Moi-même, j'ai ressenti ce rapport concurrentiel, dans les conversations opposant hommes et femmes. Il est arrivé que les hommes nous renvoyaient à la figure un stéréotype tenace: celui de la femme noire en colère et castratrice... Ben oui, une femme qui l'ouvre est une femme qui cherche à rabaisser son homme. De même que l'apparition de plus en plus visible d'une "blackgeoisie" féminine créee des tensions et entraîne certains à voir les femmes comme une menace à leur propre ascension personnelle.

A ce machisme immuable, c'est à nous les femmes de faire comprendre qu'oeuvrer pour l'égalité des sexes n'est pas l'arbre qui cache la forêt ! Porter un féminisme noir, c'est aussi dé-tricoter et ébranler le système d'oppression contre lequel lutte le panafricanisme. Mais surtout, c'est prendre conscience que les premières victimes des structures d'asservissement sont les femmes noires. 

Et si on se concentrait sur autre chose que la beauté et la mode afro ?

Dans une logique patriarcale et sexiste, la femme est évidement réduite à son corps. Alors la première chose à laquelle se sont attelés les panafricains,  était de reconsidérer la beauté des femmes noires, trop longtemps dénigrée par les blancs. A coup de colloques, blogs et images "Black is beautiful" les panafricain(e)s ont prescrit aux noires le retour du cheveu naturel, l'acceptation des formes généreuses et de la couleur très ébène. Progressivement, une image idéalisée de la femme noire d'origine africaine s'est construite au détriment de sa diversité. Certes, il était plus qu'urgent de redire au monde que les corps et les beautés noires valent autant que les modèles caucasiens. Mais la propagation de blogs destinés à l'entretien du cheveux crépu, l'accroissement de magazines féminins afros qui contribuent largement à ce rappel suffisent-ils ? Se limiter à l'image - normée- des femme noires est très réducteur. Est-ce donc cela l'égalité tant attendue ? Faire comme les femmes caucasiennes: acheter un magazine à 3e50 qui nous guide dans le choix des produits capillaires et/ou de la prochaine paire de chaussures ?
Porter le wax et le turban, décorer son intérieur en bambou et de statuettes en bois assurent-ils le progrès des femmes noires ?

Pourtant, il faudrait se pencher sur les problèmes qui touchent spécifiquement les femmes noires. Des problèmes que le féminisme blanc, faussement universel, est incapable de déceler. Combien de fois, a-t-on vu les féministes blanches ne pas saisir les attaques racistes et/ou les situations de discriminations à l'encontre des femmes noires - encore pire si elles sont musulmanes.
Quand allons nous évoquer, les nombreuses injustices et souffrances que subissent les femmes: la violence conjugale, le viol, la pauvreté, l'échec scolaire, le chômage en plus du racisme et de l'oppression sociale !
Les panafricains doivent dénoncer et agir contre les conditions matérielles et sociales désastreuses d'une grande majorité des femmes noires. Au lieu de mettre en avant des couples noirs harmonieux, comme pour se convaincre qu'être avec un noir et une noire, c'est cool, il serait peut-être temps de régler la misogynie exécrable de certains, analyser les causes et remédier à la spirale de la violence dans le couple, supporter les jeunes filles-mères, celles qui élèvent seules leur enfant, promouvoir la liberté des femmes de disposer de leur corps, de leur sexualité comme elles l'entendent (là je rêve totalement...).
J'entends déjà les critiques s'élèver: la question des femmes ne vaut rien par rapport à celle du panafricanisme. Et  a-t-on besoin de remuer le couteau dans la plaie, à parler des hommes noirs violents et injustes envers les femmes, n'est ce pas encore participer à une campagne de disqualification de l'homme noir...

Bien au contraire et d'où l'objet de ce long post... Ce qu'il y a de merveilleux et de profondément beau dans la lutte panafricaine est le retour sur soi, sans hypocrisie. La prise de conscience que nous devons affronter nous-mêmes nos problèmes et les régler sous un paradigme purement africain est indispensable. Le combat pour les droits et le respect des femmes noires sert la cause africaine et celle des noirs en général. C'est par l'union des forces que l'on arrivera à changer notre condition et pourquoi pas proposer un autre monde...


Sources
- L'Histoire n°371, Sociétés coloniales: du côté des femmes, janvier 2012
- Le royaume Kongo et la mission catholique (1750-1838) du déclin à l'extension , Kabolo Iko Kabwita, khartala éditions

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