26 août 2011

Genèse


L'écume blanche lèche avec fracas, mes pieds ensevelis sous la terre noirâtre. Le bruissement des vagues m'enveloppe dans une torpeur sans fin. Mon chemisier bleu clair évoque le ciel au dessus de ma tête.
Je me sens terriblement bien, bizarrement apaisée. Néanmoins, je ne peux pas rester ici, je dois partir. Seul mon corps m'en empêche. Je suis hypnotisée par la vue que m'offre la nature : au loin se trouve une île. Elle se situe en plein milieu du fleuve. Recouverte d'arbres immenses et touffus, d'herbes folles et de verdure en tout genre : c'est un pur joyau qui m'est offert.
Dieu est si grand...
Les vagues se font plus épaisses, je vacille sous leur vigueur. D'un seul coup, mes jambes alourdies me lâchent. Je tombe le long de la rive. La chute m'éveille : Où est le sable doux ? Ici il n'y a que des gravas et des cailloux. ils irritent ma peau tandis que l'eau me submerge, voilà que je panique ! Sa couleur étonnement jaune et noire m'effraie. Une voix stridente me crie "Retourne-toi ! ". Je voudrais me retourner mais je n'y arrive pas, la saleté de l'eau me tétanise et bride toute action.
Ce n'est pas la terre dont on m'a parlé, je ne reconnais pas la terre de mes ancêtres. Pourtant, je la connais ! Je suis persuadée que je la porte en moi depuis ma délivrance. Je devrais la saisir et la choyer, je devrais la pétrir de mes mains et l'hydrater de mes larmes. Mais elle n'est pas ! Où est la terre latérite ? Où est le rouge qui devait recouvrir ma peau ébène ? Où réside la renaissance tant promise.
Je ne me rends compte de rien. Je ne comprends rien, on m'a vendu un mythe ! Ici dans le pays des Blancs, tout le monde parle de toi sans réellement te connaître. Sous prétexte qu'ils y sont nés, ils pensent savoir qui tu es, ce que tu désires et ce qui est le mieux pour toi. On t'affuble du doux et rassurant nom de Terre-Mère, on se persuade de ta grandeur perdue, de ton paradis révolu. D'autres te critiquent, n'y voient que la terre de la désespérance, de la mort, de l'échec. Mais eux, qui sont au loin, comment peuvent-ils savoir ? Ne voient -ils pas que le temps des hommes est aussi bref que le temps de l'espace est infini. Ne voient-ils pas, à quel point, tout est vain ?! Qu'il suffit de si peu de temps pour que tout change ! Alors comment sauraient-ils ce que tu es devenue et comment devrais tu me recevoir ?
Enfin, je t'ai vu ! Pour la première fois de mon existence, je t'ai foulée, je t'ai respirée, je t'ai écouté, je t'ai parlé. Je te conçois comme je conçois le monde : accablée par le poids de nos contradictions. Je te prends comme tu es : différemment banale.
Je ne suis restée que dans le brouhaha de la ville, je n'ai pu qu'admirer la superficialité et le déni des édifices. Là-bas, tout est vieilli, les artères, hauts-lieux de vie, sont incroyablement sales. Les maisonnettes à la chaux sont encrassées par la pollution et les immondices pestilentielles. La moiteur d'une belle époque, ère d'une enfance heureuse suinte sur les façades de la passerelle parentale de Kasa-Vubu. Les impacts de balles, les innombrables fissures des immeubles, les trous béants dans le bitume témoignent des pillages passés. Il faut se rendre sur le boulevard triomphal et celui du 30 juin pour admirer enfin la "modernité".
Aux kinois, les grattes-ciels en verres teintés, brillants de mille feux. Aux kinois, Les voies à 4 portions, les immenses lampadaires, les gigantesques panneaux publicitaires, l'écran-plat géant au carrefour Victoire ou encore la majesté d'un palais du peuple rénové. Aux kinois, une ère nouvelle sous l'égide des Chinois.
Le Chinois... Le nouveau mec tendance à Kinshasa : mes cousines me parlent d'une autre cousine qui a "réussit" en faisant chavirer le coeur d'un riche (est-ce utile de le préciser ?!) entrepreneur chinois. Les yeux brillants de rêveries version 2011 (le prince charmant vient toujours de loin mais il est plus "typé"), elles me racontent qu'il a fait le chemin de Lubumbashi jusqu'à Kin pour avouer son amour à la jeune fille. Et en guise de preuve, il n'a pas lésiné sur les moyens : il lui a offert une immense villa avec piscine, sans oublier le 4×4 avec chauffeur. Quant à elle, généreuse de nature, elle n'hésite pas à redistribuer le fruit de son "dur labeur" aux enfants des rues ou aux vendeurs à la sauvette à coup de 500 francs congolais voire jusqu'à des 20 $.
Face à ce récit, je suis pantoise. J'observe mon environnement, il n y a ici que des jeunes sans but : ils n'ont de yeux que pour la Playstation, les sons 'ricains , les "soirées" rythmées aux sons de Werra et l'Eglise évangélique. Je suis perdue et affligée.
Longtemps, j'ai cherché à te découvrir, du moins c'est ce que j'ai envie de croire. En réalité, cela ne fait pas si longtemps que ça. Avant je me sentais "normale" et n'importe qui. Je ne pensais absolument pas à toi. Tu n'étais qu'une abstraction. Il a fallu que je me heurte à cet homme pour que je prenne conscience du manque, des failles de mon existence, du déni de mon identité. Il m'a aussi fallu du courage et de la volonté pour arriver jusqu'à toi. J'y suis arrivée !
La rencontre fût belle. Elle a tenu toutes ses promesses, mais absolument pas là où je m'y attendais. Je croyais que j'allais entrer dans un autre monde, être habitée d'un souffle mystérieux, être bercée dans les méandres de l'inconnu inquiétant mais salvateur. Loin d'être débarrassée des préjugés et autres images d'Epinal occidentales sur le Congo, j'ai peut être cru entrer au coeur des ténèbres, mais promise à une nouvelle vie car là se trouvaient mes racines. En fait, j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'un lieu, ni d'un climat et encore moins d'une bâtisse. J'ai compris que mes racines sont les yeux de cette petite femme possédant une dentition parfaitement blanche et d'un écart au milieu de la rangée du haut qu'on appelle "dents du bonheur", exactement comme moi. Mes racines sont cette femme au sourire jovial qui se lève à 6 du matin pour se rendre au marché, puis passe la matinée à piler le pondu (prononcez "pounedou" ;-) et me servir comme une reine avec tout l'amour que ma mère est incapable d'exprimer. Mes racines, c'est cette femme qui me ressemble comme deux gouttes d'eau et me serre dans ses bras en me voyant pour la 1ère fois à l'âge de 60 ans. Oui, mon retour aux sources a été merveilleux car j'y ai rencontré ma "soeur" que j'admire et qui possède la même force de caractère, la même détermination que moi (j'ajouterais l'intelligence sans m'inclure pour ne pas paraître prétentieuse), il y a aussi mon petit "frère" fan de rap français, mes petits cousins et cousines, adorables, spontanés, chenapans et souriants qui m'ont entouré chaque jour où je me trouvais à la Cité, avenue Nguiri-Guiri.
Mes racines sont mes tantes m'obligeant à améliorer mon lingala à force de raconter des anecdotes drôlissimes. Mes racines c'est aussi ma tante bourgeoise qui ne cesse de se plaindre et rêve de voir son fils unique pourri-gâté réaliser le rêve de sa vie : émigrer en Europe (imaginez toute la frustration et les complexes que mon petit cousin de 9 ans développe). Heureusement, mon oncle, homme imposant d'au moins 1m90 était là pour me rassurer, me traiter avec attention tandis que ma mère et ma tante passaient leur journée à papoter, à m'emmener faire des courses au centre-ville, ou voir la famille, toutes ces choses ennuyeuses que l'on subit lorsqu'on est petit enfant.
Je n'ai jamais été aussi frustrée par un voyage ! Il fut trop court mais intense.
Le moment le plus fort est lorsque j'ai vu pour la première fois le visage de ma grand-mère Mani. Une photo datant des années 40 ou 50. En découvrant son histoire de grande commerçante, coquette, très indépendante au point de divorcer avant de mourir trop tôt, j'ai compris que j'étais sur la bonne voie, que certaines choses n'arrivent pas au hasard.
J'ai pleuré et éprouvé une immense colère en constatant à quel point les Congolais avaient délaissé leur culture et leur identité au point d'avoir pour vitrine de leur Etat, une capitale aux allures de fantôme à la recherche d'une résurrection improbable. Toutefois, aujourd'hui je sais que l'identité réside dans l'attachement et le souvenir de ceux qui ont été, de ceux qui ont permis que nous soyons. Une nouvelle étape débute dans ma vie et peu importe les obstacles et les difficultés qui se dresseront je suis forte de cela, de cette certitude car maintenant je crois savoir qui je suis et pouvoir faire ce que je veux que ma vie soit.

Genèse


L'écume blanche lèche avec fracas, mes pieds ensevelis sous la terre noirâtre. Le bruissement des vagues m'enveloppe dans une torpeur sans fin. Mon chemisier bleu clair évoque le ciel au dessus de ma tête.
Je me sens terriblement bien, bizarrement apaisée. Néanmoins, je ne peux pas rester ici, je dois partir. Seul mon corps m'en empêche. Je suis hypnotisée par la vue que m'offre la nature : au loin se trouve une île. Elle se situe en plein milieu du fleuve. Recouverte d'arbres immenses et touffus, d'herbes folles et de verdure en tout genre : c'est un pur joyau qui m'est offert.
Dieu est si grand...
Les vagues se font plus épaisses, je vacille sous leur vigueur. D'un seul coup, mes jambes alourdies me lâchent. Je tombe le long de la rive. La chute m'éveille : Où est le sable doux ? Ici il n'y a que des gravas et des cailloux. ils irritent ma peau tandis que l'eau me submerge, voilà que je panique ! Sa couleur étonnement jaune et noire m'effraie. Une voix stridente me crie "Retourne-toi ! ". Je voudrais me retourner mais je n'y arrive pas, la saleté de l'eau me tétanise et bride toute action.
Ce n'est pas la terre dont on m'a parlé, je ne reconnais pas la terre de mes ancêtres. Pourtant, je la connais ! Je suis persuadée que je la porte en moi depuis ma délivrance. Je devrais la saisir et la choyer, je devrais la pétrir de mes mains et l'hydrater de mes larmes. Mais elle n'est pas ! Où est la terre latérite ? Où est le rouge qui devait recouvrir ma peau ébène ? Où réside la renaissance tant promise.
Je ne me rends compte de rien. Je ne comprends rien, on m'a vendu un mythe ! Ici dans le pays des Blancs, tout le monde parle de toi sans réellement te connaître. Sous prétexte qu'ils y sont nés, ils pensent savoir qui tu es, ce que tu désires et ce qui est le mieux pour toi. On t'affuble du doux et rassurant nom de Terre-Mère, on se persuade de ta grandeur perdue, de ton paradis révolu. D'autres te critiquent, n'y voient que la terre de la désespérance, de la mort, de l'échec. Mais eux, qui sont au loin, comment peuvent-ils savoir ? Ne voient -ils pas que le temps des hommes est aussi bref que le temps de l'espace est infini. Ne voient-ils pas, à quel point, tout est vain ?! Qu'il suffit de si peu de temps pour que tout change ! Alors comment sauraient-ils ce que tu es devenue et comment devrais tu me recevoir ?
Enfin, je t'ai vu ! Pour la première fois de mon existence, je t'ai foulée, je t'ai respirée, je t'ai écouté, je t'ai parlé. Je te conçois comme je conçois le monde : accablée par le poids de nos contradictions. Je te prends comme tu es : différemment banale.
Je ne suis restée que dans le brouhaha de la ville, je n'ai pu qu'admirer la superficialité et le déni des édifices. Là-bas, tout est vieilli, les artères, hauts-lieux de vie, sont incroyablement sales. Les maisonnettes à la chaux sont encrassées par la pollution et les immondices pestilentielles. La moiteur d'une belle époque, ère d'une enfance heureuse suinte sur les façades de la passerelle parentale de Kasa-Vubu. Les impacts de balles, les innombrables fissures des immeubles, les trous béants dans le bitume témoignent des pillages passés. Il faut se rendre sur le boulevard triomphal et celui du 30 juin pour admirer enfin la "modernité".
Aux kinois, les grattes-ciels en verres teintés, brillants de mille feux. Aux kinois, Les voies à 4 portions, les immenses lampadaires, les gigantesques panneaux publicitaires, l'écran-plat géant au carrefour Victoire ou encore la majesté d'un palais du peuple rénové. Aux kinois, une ère nouvelle sous l'égide des Chinois.
Le Chinois... Le nouveau mec tendance à Kinshasa : mes cousines me parlent d'une autre cousine qui a "réussit" en faisant chavirer le coeur d'un riche (est-ce utile de le préciser ?!) entrepreneur chinois. Les yeux brillants de rêveries version 2011 (le prince charmant vient toujours de loin mais il est plus "typé"), elles me racontent qu'il a fait le chemin de Lubumbashi jusqu'à Kin pour avouer son amour à la jeune fille. Et en guise de preuve, il n'a pas lésiné sur les moyens : il lui a offert une immense villa avec piscine, sans oublier le 4×4 avec chauffeur. Quant à elle, généreuse de nature, elle n'hésite pas à redistribuer le fruit de son "dur labeur" aux enfants des rues ou aux vendeurs à la sauvette à coup de 500 francs congolais voire jusqu'à des 20 $.
Face à ce récit, je suis pantoise. J'observe mon environnement, il n y a ici que des jeunes sans but : ils n'ont de yeux que pour la Playstation, les sons 'ricains , les "soirées" rythmées aux sons de Werra et l'Eglise évangélique. Je suis perdue et affligée.
Longtemps, j'ai cherché à te découvrir, du moins c'est ce que j'ai envie de croire. En réalité, cela ne fait pas si longtemps que ça. Avant je me sentais "normale" et n'importe qui. Je ne pensais absolument pas à toi. Tu n'étais qu'une abstraction. Il a fallu que je me heurte à cet homme pour que je prenne conscience du manque, des failles de mon existence, du déni de mon identité. Il m'a aussi fallu du courage et de la volonté pour arriver jusqu'à toi. J'y suis arrivée !
La rencontre fût belle. Elle a tenu toutes ses promesses, mais absolument pas là où je m'y attendais. Je croyais que j'allais entrer dans un autre monde, être habitée d'un souffle mystérieux, être bercée dans les méandres de l'inconnu inquiétant mais salvateur. Loin d'être débarrassée des préjugés et autres images d'Epinal occidentales sur le Congo, j'ai peut être cru entrer au coeur des ténèbres, mais promise à une nouvelle vie car là se trouvaient mes racines. En fait, j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'un lieu, ni d'un climat et encore moins d'une bâtisse. J'ai compris que mes racines sont les yeux de cette petite femme possédant une dentition parfaitement blanche et d'un écart au milieu de la rangée du haut qu'on appelle "dents du bonheur", exactement comme moi. Mes racines sont cette femme au sourire jovial qui se lève à 6 du matin pour se rendre au marché, puis passe la matinée à piler le pondu (prononcez "pounedou" ;-) et me servir comme une reine avec tout l'amour que ma mère est incapable d'exprimer. Mes racines, c'est cette femme qui me ressemble comme deux gouttes d'eau et me serre dans ses bras en me voyant pour la 1ère fois à l'âge de 60 ans. Oui, mon retour aux sources a été merveilleux car j'y ai rencontré ma "soeur" que j'admire et qui possède la même force de caractère, la même détermination que moi (j'ajouterais l'intelligence sans m'inclure pour ne pas paraître prétentieuse), il y a aussi mon petit "frère" fan de rap français, mes petits cousins et cousines, adorables, spontanés, chenapans et souriants qui m'ont entouré chaque jour où je me trouvais à la Cité, avenue Nguiri-Guiri.
Mes racines sont mes tantes m'obligeant à améliorer mon lingala à force de raconter des anecdotes drôlissimes. Mes racines c'est aussi ma tante bourgeoise qui ne cesse de se plaindre et rêve de voir son fils unique pourri-gâté réaliser le rêve de sa vie : émigrer en Europe (imaginez toute la frustration et les complexes que mon petit cousin de 9 ans développe). Heureusement, mon oncle, homme imposant d'au moins 1m90 était là pour me rassurer, me traiter avec attention tandis que ma mère et ma tante passaient leur journée à papoter, à m'emmener faire des courses au centre-ville, ou voir la famille, toutes ces choses ennuyeuses que l'on subit lorsqu'on est petit enfant.
Je n'ai jamais été aussi frustrée par un voyage ! Il fut trop court mais intense.
Le moment le plus fort est lorsque j'ai vu pour la première fois le visage de ma grand-mère Mani. Une photo datant des années 40 ou 50. En découvrant son histoire de grande commerçante, coquette, très indépendante au point de divorcer avant de mourir trop tôt, j'ai compris que j'étais sur la bonne voie, que certaines choses n'arrivent pas au hasard.
J'ai pleuré et éprouvé une immense colère en constatant à quel point les Congolais avaient délaissé leur culture et leur identité au point d'avoir pour vitrine de leur Etat, une capitale aux allures de fantôme à la recherche d'une résurrection improbable. Toutefois, aujourd'hui je sais que l'identité réside dans l'attachement et le souvenir de ceux qui ont été, de ceux qui ont permis que nous soyons. Une nouvelle étape débute dans ma vie et peu importe les obstacles et les difficultés qui se dresseront je suis forte de cela, de cette certitude car maintenant je crois savoir qui je suis et pouvoir faire ce que je veux que ma vie soit.

Free Web Counter