8 janvier 2012

L'Ordre et Morale


affiche l'ordre et la morale
Sorti le 16 novembre dernier, L'Ordre et la Morale est un film audacieux qui à travers un épisode tragique de l'histoire franco-calédonienne nous rappelle les turpitudes liées à l'exercice du pouvoir.
Inspiré du livre de Philippe Legorjus, capitaine du GIGN au moment des faits, le film retrace l'épilogue sanglant de plusieurs années de tensions en Nouvelle-Calédonie entre le mouvement indépendantiste kanak et les autorités françaises. Le 22 avril 1988, deux jours avant le premier tour des élections présidentielles, des indépendantistes kanaks attaquent une gendarmerie sur l'île d'Ouvéa. 
Ce qui ne devait être qu'une occupation insurrectionnelle se termine en bain de sang avec la mort de 4 gendarmes tandis que le reste du contingent est pris en otage. Alors qu'un groupe de gendarmes est rapidement libéré, celui qui est mené par l'indépendantiste kanak Alfonse Dianou se retrouve bloqué dans une grotte près de Gossanah. 
Douze jours plus tard, Matignon par la voie du Ministre de l'Outre-Mer Gérard Pons, décide de lancer un assaut armé sur la grotte afin de libérer les otages. L'opération est réussie mais au prix de la vie de 19 preneurs d'otages et 2 soldats. 
Figurant parmi les pages sombres de l'histoire de la Ve République, l'évènement - trop vite oublié - fait polémique quant aux responsabilités politiques et militaires. 
En pleines élections présidentielles, la prise d'otages devient un enjeu politique majeur entre les 2 candidats "favoris", le premier ministre Jacques Chirac et le président de la République François Mitterrand. 
Grâce aux images d'archives présentes dans le film, on saisit les discordes au sein du pouvoir exécutif. Un exécutif déchiré par la cohabitation "Gauche"/Droite et la volonté de Matignon de gérer la situation seule, alors que les indépendantistes sollicitent l'Elysée.
Le film, par une reconstitution precise et détaillée revient sur le choix des politiques qui devaient prendre en compte la nécessité de rétablir l'ordre sans nuire à la morale. Le contexte des élections a rendu son choix pernicieux. Un règlement rapide et autoritaire est privilégié pour ne pas entacher le pouvoir en pleine compétition électorale. L'usage (totalement) disproportionné de la force voulu par Jacques Chirac au détriment d'une "mission de conciliation" souhaitée par le président de la République est finalement accepté par celui-ci.



Dans une mise en scène impeccable, Kassovitz nous emporte dans un monde de contradictions : celui des territoires d'outre-mer aux paysages paradisiaques où la rencontre entre autochtones et Blancs conquérants a été dramatique. Les inégalités, le mépris des cultures locales, le racisme sous-jacent, dévoilent des terres de tensions vives où les situations colonialistes semblent perdurer.
Après deux blockbusters au succès plus que mitigé, Gothika et Babylone A.D, Kassovitz revient dans ce qu'il sait faire de mieux : un cinéma intimiste et engagé. 
Une des principales qualités du film, c'est le choix de Matthieu Kassovitz d'adopter le point de vue de Legorjus, désigné comme négociateur. Il emmène ainsi le spectateur au coeur des opérations militaires, des marchandages politiques, des dilemmes obligeant son personnage à trahir ses convictions. Mais le plus saisissant dans le film est le contraste entre les séquences de grosses pressions sur le terrain, de la violence exacerbée entre militaires et Calédoniens kanak à l'environnement paisible, agréable avec ses édifices luxueux où évolue le ministre de l'Outre-Mer. On est frappé par le fossé entre pouvoir et peuple, entre un ministre et un Etat-major déconnectés prenant des décisions sans prendre conscience des réalités du terrain, sans se préoccuper des conséquences sur les hommes impliqués dans le conflit. 
On ressort du film bouleversé. En tant que citoyen, on s'interroge : où avons nous failli pour en arriver là ? Est-il vraiment "raisonnable" ou "juste" de sacrifier les valeurs de la République ? 
Les problèmes posés par le passé colonial de la France ne sont pas résolus - ni pris au sérieux - mais grâce à ce film, le débat plus que nécessaire est de nouveau présent et c'est en faisant face à ce passé que la France pourra sortir des crispations et mener une réelle politique du "Vivre mieux Ensemble"

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